Il y a maintenant deux semaines, je vous avais parlé d'un coup de fil particulièrement désagréable que j'avais reçu de la part de la principale de l'école des garçons, qui m'informait qu'Adnan et Ismaël seraient renvoyés de l'école s'ils n'arrêtaient pas de se battre en classe... J'avais été frappée par la rigidité de cette réponse, qui en quelque sorte, « se lavait les mains » des problèmes des garçons et passait rapidement le bâton de relais à la famille. Quand même, être expulsé de l'école, alors qu'il n'y avait pas eu de sang, ils ne s'étaient pas battus avec d'autres enfants, etc.
J'avais terminé le post en me demandant si les canadiens n'avaient pas une toute autre attitude envers la liberté des comportements, que les français : que certaines libertés sont encouragées, voire développées, comme témoignent les observations de Hadi envers la liberté à l'école (liberté de penser, liberté de s'exprimer, liberté de jouer), mais que cette liberté se payait dans les restrictions d'autres comportements, comparés à « l’individualisme à la française ».
Tout d'abord, voici les dernières nouvelles, puisqu'on m'a fait remarquer que j'entame souvent des sujets pour vous laisser ensuite dans le suspens (la corde à linge, c'en est où???).
Après le coup de fil de l'école, vous avez bien compris qu'Adnan et Ismaël étaient dans le collimateur... le mien, en l'occurrence, puisque c'est moi qui travaille à la maison et qui aurais le « plaisir » de les garder. Heureusement, ils ont compris qu'ils n'avaient pas le choix, que se disputer à l'école n'était pas une option. Point final. Tout de même, je leur accorde désormais dix minutes en fin de journée, après l'école, pour se disputer et régler leurs problèmes, s'ils en ont besoin.
Enfin bref, ça a l'air d'avoir marché parce que lorsque je suis allée voir la maîtresse une semaine après, elle était émerveillée: plus de disputes du tout. Elle avait l'air un peu impressionnée par mes capacités parentales! « Je ne sais pas ce que vous leur avez dit, mais, ça marche! Continuez! » Je ne lui ai pas avoué, bien entendu, que je les avais menacés de leur vie... (non, mais je blague!... un peu).
Mais, regardons donc l'environnement culturel qui a incité l'école à ne tolérer aucun dépassement de comportement « civilisé ». Une explication simple serait qu'ils avaient pris la mesure de la différence culturelle de nos enfants, et avaient conclu que la chose serait plus vite réglée par les parents...
Il est quand même intéressant de constater que les Edmontoniens semblent tétanisés par une explosion récente de la violence dans leur ville — une ville qui ressemble beaucoup, dans les zones résidentielles, à une petite ville nord-américaine, rurale et tranquille. Ça me rappelle beaucoup le Minnesota de mon enfance, les petites villes aux alentours des “Twin Cities” (Minneapolis et Saint Paul) ainsi que la petite ville de Pipestone, où ma grand-mère a passé sa vie, où mes parents sont nés et ont grandi, et où, gamine, je passais mes vacances d'été. C'est donc peu dire que je me sens parfaitement à l'aise ici, et que les garçons y trouvent également leur compte, étant « culturellement » un peu américains, aussi.
Depuis le boom de ces quinze dernières années, l'Alberta, comme partout, était en croissance, alimentée en grande partie par les recettes tirées de l'exploitation du pétrole. La ville d'Edmonton, qui est la capitale provinciale, est la ville la plus importante dans la moitié nord du province (pour mieux voir la carte, cliquez dessus pour l'agrandir, puis sur la flèche 'retour en arrière' pour revenir à cette page). Pendant la période d'expansion économique, donc, beaucoup de gens étaient donc venus chercher de l'emploi. Mais au fur et à mesure que les emplois disparaissent, Edmonton se retrouve avec une population qui est devenue plus hétéroclite socio-économiquement, mais dont certaines parties sont en difficulté. Un des plus grands problèmes d'Edmonton d'aujourd'hui, c'est le marché de la drogue. Ce marché est la cause de beaucoup de violences, que ce soit entre dealers, ou par des jeunes qui commettent des crimes afin de se procurer de l'argent.
Cette violence touche le centre ville également. Voici une petite carte préparée par Tahar qui vous montre notre zone de déplacements à pied: Le point rouge = la maison, avec l'école en face (bien sûr, vous pouvez cliquer sur cette image, aussi!). Le labo est au nord avec un trajet soit par tram (en bleu foncé, compter 5 minutes) soit à pied (en bleu clair, compter 20 minutes). Maintenant, nous pouvons également vous montrer l'hôpital (!), indiqué par le carré rose au milieu du trajet de Tahar.... Sur Whyte Ave, S1 est notre premier supermarché (Sobeys), S2 est notre deuxième (Safeway). R = le restaurant (le « diner ») où nous avons mangé tous les samedi depuis notre arrivée, et M = le marché qui nous avait creusé notre budget le premier week-end. Il faut compter à peu près 20 minutes pour y arriver à pied depuis la maison.
Ch = c'est Chinatown, un endroit que nous avons exploré le deuxième week-end, où nos petits chéris avaient été horrifiés et apeurés à cause des gens, à l'air “dangereux”, qu'on a croisés. J'ai dû vivement disputer Adnan qui a failli se faire attaquer par des drogués, parce qu'il n'arrêtait pas de les fixer des yeux, hébétés par leur comportement... Ceci dit, le quartier en soi n'est pas 'pourri' : ma collègue qui travaille à l'Université d'Alberta y va toutes les semaines faire ses courses (c'est bien moins cher que chez nos supermarchés), et notre propriétaire vit à deux pas du supermarché asiatique, devant lequel j'ai quand même réussi à prendre les garçons en photo. Elle avait l'air amusée quand je lui racontais l'affolement de nos garçons, habitués à l'environnement calme et protecteur de Chamalières...
Maintenant, vous pouvez comparer ces déplacements à la carte suivante (notre maison est indiquée par le point rouge sur 114 St NW):
Plusieurs personnes nous ont prévenu, dès notre arrivée, qu'il fallait éviter Whyte Avenue (aussi appelée 82 Ave NW) après la tombée de la nuit, car des bandes de jeunes descendent sur le quartier, soit pour se soûler dans les pubs, soit pour s'attaquer aux passants afin de leur voleur de l’argent pour acheter de la drogue. Une histoire récente concernait un reporteur de l'Edmonton Journal, journaliste sur la violence et les crimes à Edmonton, qui s'est lui-même fait attaqué par une bande de jeunes alors qu'il rentrait chez lui à 1h du matin...
Vous pouvez lire le reportage au lieu suivant: http://www.edmontonjournal.com/opinion/have+never+felt+alone/1599302/story.html
Il y a donc clairement un problème à Edmonton. Mais la violence urbaine n'est pas, hélas, un fait rare aujourd'hui. Néanmoins, Edmonton a reçu le titre, en 2006, de “Capitale du Crime du Canada”, c'est à dire, la ville où il y a eu le plus de meurtres à travers tout le Canada.
Mais pas si vite. Avant que vous ne vous affoliez pour nous, il faudrait relativiser un peu. Avec Tahar, nous avons effectué quelques recherches, interpellés par cette fixation des Edmontoniens sur l'insécurité. Nous avons appris que pour l'année en question, il y a effectivement eu 39 meurtres à Edmonton. Comparons maintenant ce chiffre aux cousins du sud, et nous nous rappelons aisément le message du film de Michael Moore (Bowling for Colombine), qui malgré quelques défauts, pointe bien une différence entre le nord et le sud de l'Amérique du Nord (voir http://www.worst-city.com/Murder-Rate-in-US-Cities-worst-state-city-for-shootings-murders.htm):
Ce tableau identifie les villes les plus meurtrières aux Etats-Unis, avec le nombre d'assassinats par an, pour 100,000 habitants. Numéro 1: Compton, Californie, dans la banlieue de L.A., compte, par exemple, 67,1 assassinats pour 100 000, avec une population de 94 425 habitants en juillet 2007. Le numéro 2 sur la liste est la ville de Gary, Indiana, avec 58 meurtres par an pour 100 000, avec une population de 102 746 habitants en 2000.
A titre de comparaison, Edmonton compte environ 750 000 habitants. Ce chiffre fatal de “39” est donc à diviser par 7,5, ce qui fait 5,2 assassinats pour 100 000 habitants pour l’année où Edmonton a tenu le titre de « Crime capitale of Canada ». Pas très impressionnant, même comparé à la ville américaine à la 100ème place: Newport News, Virginie, avec 10,8 assassinats pour 100 000 habitants (pop., 2000: 180 150) . Même mon cher Minneapolis se trouve à la 75ème place, avec 12,5 meurtres pour 100 000 (soulagement quand même: ma ville natale, St Paul, ne se trouve pas sur la liste!)
Tout ceci laisse donc l'impression que la ville d'Edmonton, plutôt “petite ville” en mentalité, se trouve aux prises avec des changements récents de sa population, et donc de son profil socio-économique, qui renverse un peu les traditions et les habitudes, renforçant le sentiment d’insécurité.
Il n'empêche, nous trouvons que c'est vachement sympathique, par ici...
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